On m’a demandé de commenter une vidéo présentant dix raisons
pour lesquelles l’Église catholique est satanique. Oui, vous avez bien lu… En
anglais, «10 Reasons Why the Catholic Church is SATANIC » (https://www.youtube.com/watch?v=5g4BZCNCD1g&feature=share&fbclid=IwAR0uNwozfUcATPzP5R3Oh13tmz8TBlFM3GpejuK3EAvnRxvz-TinAhJwfsg)
Voici mes commentaires. Notez que les nombres au début des
paragraphes réfèrent à mes arguments et ne correspondent pas à la numérotation
des « 10 reasons » de la vidéo.
1- La
vidéo met en perspective plusieurs erreurs des catholiques, particulièrement
des personnes âgées, des traditionnalistes et des gens qui ont une foi plutôt « enfantine ».
C’est intéressant.
2- Malheureusement,
une grande partie de ses critiques réfère à la période qui précède le concile
Vatican II et à des pratiques populaires qui ont été conservées par plusieurs mais
qui ne retrouvent aucun écho dans l’institution. Cette vidéo arrive soixante ans
trop tard…
3- Elle
dit qu’elle s’attaque à l’institution et pas aux personnes mais c’est faux car
sur la plupart des points elle s’attaque aux pratiques de personnes catholiques
qui ne viennent pas de l’institution actuelle ni ne sont encouragées par cette
institution.
4- Associer
« faire des erreurs » et « être satanique », je trouve ça
pas mal forcé. ;-)
5- C’est
vrai que des catholiques prient plus Marie et d’autres saints que le Père par
Jésus dans l’Esprit. Par contre, c’est moins évident du côté institutionnel. Il
y a des documents romains qui font cette erreur mais c’est moins répandu que
dans « le peuple ». Par exemple, dans l’eucharistie, toute la
célébration est une prière en action de grâce au Père pour le don de son Fils
dans l’Esprit. On n’y retrouve pas de prière à Marie. J’ai plus de difficulté
avec l’hymne à Marie dans l’office de complies à tous les jours ou l’habitude
de finir un document papal par une invocation à Marie. Ce n’est pas une prière
comme telle mais c’est trop répétitif et c’est proche de la dérive selon moi.
Pour ma part, ça me met mal à l’aise. Pour le chapelet, je n’ai aucun problème :
c’est une répétition de paroles bibliques suivies d’une invocation demandant à
Marie de prier pour nous. Je n’ai pas de problème à demander à un saint ou mon
père défunt de m’aider ou prier pour moi. J’ai par contre de la difficulté avec
le fait que certaines personnes croient que c’est le défunt qui agit de
lui-même presque sans Dieu. Question compliquée qui mériterait plus de
discussion que ce qui se trouve dans la vidéo. C’est une critique qui revient
souvent de la part des baptistes et évangélistes.
6- Elle
voit de l’idolâtrie où il n’y en a pas. Quand on salue ou encense une représentation
(statue, autel, prêtre, pape, assemblée…) c’est toujours le signifié qui est
salué (le Christ) et jamais l’objet ou la personne lui-même.
7- Elle
a raison sur le fait qu’on célèbre trop la crucifixion et pas assez la
résurrection. Mais ici c’est uniquement le peuple car du côté institutionnel
tout est tourné du côté de la résurrection. Ce changement s’est opéré à Vatican
II mais n’est manifestement pas entré dans les pratiques populaires. Par exemple,
il y a beaucoup plus de gens aux célébrations du vendredi saint que le samedi
saint à la veillée pascale qui est LA fête de la résurrection. Par contre, il y
a beaucoup de monde le dimanche de Pâques, le lendemain. Le problème est donc
peut-être plus la valorisation de la veillée pascale comme telle que la résurrection.
8- Sa
critique sur le salut par la foi par opposition aux œuvres aurait été valable
avant Vatican II mais est tout à fait obsolète de nos jours. Nous croyons que
nous sommes sauvés par l’accueil du salut de Dieu qui nous fait produire des œuvres.
Les œuvres ne nous sauvent pas mais elles sont le signe qu’on a pigé dans le
cadeau du salut en nous.
9- Elle
a raison que plusieurs catholiques, même des ministres ordonnés, pensent que
Dieu pardonne les péchés dans le sacrement de la réconciliation. Dieu nous
pardonne au moment même où on pèche. Ce sacrement nous permet d’accueillir ce
pardon déjà donné. La prière d’absolution du prêtre est mal tournée à mon avis
et est une erreur théologique (« (…) et moi, je te pardonne (…) »).
Il est vrai que dans un sacrement on
célèbre la réalité signifiée. Dans le sacrement de la pénitence (« poenitentia » :
conversion) et de la réconciliation on célèbre la conversion du pénitent par le
Christ dans l’Esprit et sa réconciliation avec Dieu. On n’y célèbre pas le
pardon. D’ailleurs, ce sacrement ne s’est jamais appelé officiellement « pardon ».
Pour aller plus loin sur ces questions :
10- Elle
pose d’intéressantes questions sur le serpent dans certaines représentations. Sauf
que si on regarde bien les images qu’elle montre, si l’une d’elles est
préoccupante (l’espèce d’œil entouré d’un serpent dans une église), les autres
sont un peu poussées… Elle voit des serpents là où il n’y en a pas quant à moi.
Le serpent sur un bâton réfère quant à lui à Nb 21, 4-9 dans la Bible : sur
l’ordre de Yahvé, Moïse fabrique un serpent en airain (selon la plupart des
traductions, en bronze selon quelques autres) et le met au bout d’un bâton.
Quand les Hébreux regardaient ce serpent, ils étaient guéris de la morsure des « serpents
brûlants ». (C’est l’origine du bâton des médecins et des pharmaciens, eux
qui guérissent). On reconnaît que ce serpent d’airain sur un bâton est une
préfiguration du sacrifice du Christ sur le bois de la croix, où il porte le
péché du monde (serpent d’Adam et Ève) pour le faire mourir. Saint Augustin dit
même que le Christ s’est « identifié » au péché pour le faire mourir sur
la croix. Le serpent sur un bâton représentant donc le Christ en croix, ça ne m’offusque
pas du tout qu’on l’utilise. Par contre, c’est intrigant qu’il y en ait deux
sur le bâton tenu par le pape dans la vidéo. J’aurais bien aimé savoir ce qu’est
ce bâton et pourquoi le pape le tient. Il participait à un colloque de médecine?
J’aurais aimé qu’on le mentionne. Sans cette information, on ne peut juger de
la situation. Quant à son étymologie du mot « Vatican » (« serpent
divin »), elle est tout à fait risible. Je ne l’ai trouvée dans aucune
source et je me demande bien où on a pris ça. Celles qui reviennent le plus
souvent dans mes recherches sont celles-ci (cf https://fr.wikipedia.org/wiki/Vatican#%C3%89tymologie):
a. « (…)
ce nom de Vaticanus tirerait son origine du mot Vaticinium, ou plus exactement
Vātēs ou Vātis signifiant « devin » ou « voyant », parce que beaucoup de devins
auraient résidé de ce côté du Tibre, car on sait notamment que sous Tibère,
l’art de la divination était interdit à Rome même (c’était un délit passible de
la confiscation des biens et de la relégation)
b. Cette
étymologie étant incertaine, d'autres parlent d'une ville étrusque nommée
Vaticum, qui aurait jadis existé à cet endroit ou du dieu Vaticanus qui
présidait aux premières paroles des enfants9 et dont le temple était construit
sur l'ancien site de Vaticanum, la colline du Vatican10. En effet, cette
colline était la maison des Vates longtemps avant l'époque préchrétienne de
Rome.
11- Le
purgatoire… Grand sujet s’il en est un… Oui, il en est fait mention dans le
catéchisme actuelle de l’Église catholique. Oui… J’ai passé une partie de ma
maîtrise à rédiger un essai comparant deux visions eschatologiques chrétiennes
(« eschaton » : la fin, le but, notamment la fin/le but de la
vie), celle du catéchisme et celle d’un brillant théologien réformé nommé Paul
Tillich, un des plus grands théologiens chrétiens du XXe siècle, un de mes
maîtres à penser quoique je ne pense pas toujours comme lui. (Je devrais
peut-être publier mon essai…) En effet la vision du purgatoire comme un lieu où
on expie nos péchés, ou un temps d’attente avant d’entrer au paradis, temps sur
lequel la prière des « vivants » aurait un impact… tout ça ne tient
pas la route. La mort, c’est du sérieux. C’est la fin de la personne. Et la
résurrection, c’est du sérieux, c’est Dieu qui me suscite à nouveau, qui me
re-suscite, me renouvelle, qui renouvelle ma vie et je la poursuis hors des
limites du temps et de l’espace, dans « l’éternité » totalement. Il n’y
a pas de temps ni de lieu d’attente car par définition la mort nous fait mourir
au temps et à l’espace. Chaque seconde de notre vie, et selon Tillich, chaque
décision en faveur du Christ (« Théologie systématique », 5e
partie), nous fait entrer progressivement dans l’éternité La mort est en
quelque sorte la fin de notre entrée dans l’éternité. Il n’y a pas d’entre-deux.
Alors le purgatoire… et l’impact de notre action sur les gens qui y seraient… Ouin…
Par contre, dans la vidéo, je ne saisis pas trop le rapport qu’on fait entre
pédophilie, cachette de scandales par certains évêques, l’inquisition, le latin
dans la messe… et le purgatoire… Là, on charrie…
12- Le
bout sur le « 3e œil » est très nébuleux, pour le moins.
Je ne m’y connais pas assez en cônes de pins ni en glandes « pineal »
pour faire le lien direct qu’ils font avec un supposé 3e œil qu’on
ne nous montre jamais dans une église ni aucune représentation, mais mon petit
doigt me dit qu’on beurre épais…
13- La
première raison est intéressante : on consomme le Corps du Christ à l’eucharistie
en bons cannibales. ;-) Elle montre la méconnaissance du sens de l’eucharistie
des auteurs de la vidéo. Ils pensent que quand les catholiques communient au
Pain de Vie à l’eucharistie, ils prennent une mordée de l’avant-bras de Jésus… La
vision catholique est toute autre! Nous croyons que nous déposons sur l’autel
le pain et le vin « fruits du travail des hommes et des femmes » qui
représentent nos vies. Ce sont nos vies qui sont déposées sur l’autel. Quand le
pain et le vin sont transformés au Corps et au Sang du Christ, ce sont nos vies
qui sont transformées au Corps et au Sang du Christ. Et quand nous communions
au Corps et au Sang du Christ, nous communions à nos vies transformées et à
celles de nos frères et de nos soeurs qui ont elles aussi été transformées. Deuxièmement,
saint Paul a une expression pour désigner le « Corps du Christ » :
l’Église, l’assemblée, la communauté chrétienne (cf 1 Co 12, notamment le
verset 28). Le Corps du Christ, c’est l’Église! Quand nous communions au Corps
du Christ, nous communions à l’Église, à la communauté chrétienne. Nous
devenons l’Église. Nous ne communions pas seulement au Christ mais à son
Église. Oui, le Christ y est présent car Il en est la tête : « Il est
aussi la tête du corps, la tête de l’Église» (1 Col 1,18). Mais nous ne
communions pas qu’au Christ, nous communions aussi à son Corps qui est l’Église.
Et quand nous vivons des temps d’adoration eucharistique, ce n’est pas seulement
devant le Christ présent mais devant son Église que nous nous trouvons. Quand nous
regardons le Christ, Lui, Il veut que nous regardions nos frères et nos sœurs.
Conclusion
Cette vidéo a été montée par des gens qui sont extérieurs à
l’Église catholique et ne la connaissent pas de l’intérieur. Leur
méconnaissance du concile Vatican II est manifeste. Leurs accusations sont
communes et reviennent souvent, notamment dans certains milieux. Certaines
idées méritent cependant qu’on s’y arrête, notamment l’invocation exagérée à
Marie et aux autres saints et saintes, le purgatoire, le sacrement de la
pénitence et de la réconciliation (tel que conçu par certaines personnes). Pour
le reste, on a amalgamé plusieurs affirmations douteuses tirées d’informations
tout aussi douteuses, notamment l’étymologie du mot « Vatican », des
images prises hors contextes et des citations complaisantes en faveur des
prétentions des auteurs. Bref, on a affaire ici à des gens qui veulent clairement
et consciemment attaquer l’Église catholique de façon malicieuse et trompeuse pour
inviter les gens à la quitter. Cette idée revient souvent dans la vidéo. Les
deux dernières minutes sont consacrées expressément à ce sujet.
Pour assez bien connaître des personnes dans au moins une
Église dite protestante ou qui ne s’identifient pas comme chrétiennes, je ne
reconnais là aucunement leur façon de voir ni d’agir envers l’Église
catholique. Je vous invite donc à ne pas généraliser. Ne croyez surtout pas que
tous les chrétiens et chrétiennes des Églises dites « protestantes » ou
les personnes incroyantes ou qui ont d’autres croyances pensent comme les
auteurs de cette vidéo.
Union de prière au Père, par le Fils et dans l’Esprit!
Denis
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